L’adoption d’une carte professionnelle pour reconnaître le métier
Cette volonté de mise en visibilité se traduit par l’adoption par le Sénat, après l’Assemblée nationale, le 31 janvier 2024, d’une carte professionnelle pour les aides à domicile délivrée à toute personne bénéficiant d’une « certification professionnelle » ou pouvant justifier de deux années d’exercice dans des activités d’intervention au domicile de PA ou de PH.
On pourrait penser que c’est un gadget : l’enjeu d’une telle mesure est essentiellement symbolique, elle est cependant extrêmement importante pour contribuer changer d’image sur ce métier grâce à une seule appellation :
« Il ne s’agit ni d’une mesure cosmétique ni d’une question annexe : il existe aujourd’hui 17 intitulés de poste ou de diplôme pour une même réalité. Il est indispensable, pour qu’elles puissent agir en tant que catégorie professionnelle, que les aides à domicile se reconnaissent elles-mêmes comme une catégorie professionnelle bien définie, ce qui est le premier pas vers l’accès à de nouveaux droits. »
Une seule appellation va permettre, par exemple d’enlever de la liste : aide-ménagère, femme de ménage, appellations encore largement utilisées et qui confèrent à ce métier une image de relégation. Combien d’usagers parlent-ils encore de « la bonne » quand ils évoquent la personne qui vient les aider chez eux ?
De façon pratico-pratique, cette décision inscrite dans la loi sur le Bien-vieillir, permettra également de faciliter le travail quotidien en donnant aux aides à domicile un accès garanti aux équipements de protection dans les pharmacies puisque ces dernières n’en délivraient jusque-là, qu’aux infirmières et aux aides-soignantes ; pour les aides à domicile– s’en procurer a ressemblé à un parcours du combattant lors de la crise sanitaire.
La mise en place de cette carte professionnelle, dès la parution de son décret d’application, sera effective grâce à des financements dédiés, via la Caisse Nationale Solidarité Autonomie.
Une carte d’identité professionnelle numérique (CPS)dédiée au secteur de la santé et du médicosocial encadrée par la loi : Ma santé 2022.
Dans le même mouvement, qui a vu les politiques publiques de la santé, se rapprocher du secteur médicosocial, la digitalisation des services d’aide à domicile se retrouve au cœur d’une transformation numérique élargie au médicosocial, ceci dans le cadre d’un vaste programme national « Ma santé 2002 ».
L’objectif principal est de remettre l’usager au centre de son parcours de santé en faisant en sorte que les informations qui sont autour de lui circulent, grâce à une interopérabilité avec le médicosocial. Pour cela chaque service à domicile devra être équipé d’un dossier Usager Informatisé (DUI) conforme.
Au bout de la chaîne les aides à domicile qui au fil du temps, sont appelées à devenir, par cette loi, de véritables professionnelles de santé, et considérées comme telles dans l’ensemble de l’écosystème …
Le 1er marquage étant leur inscription au Répertoire Partagé des Professionnels de Santé (RPPS).
Beaucoup de questions se posent mais le processus est engagé et irréversible. Comment épouser ce virage numérique en induisant les changements nécessaires dans toute l’organisation ? Comment on est à l’aise sur tous les postes de travail pour devenir acteurs de cette transformation numérique ? Comment faire comprendre aux membres d’un SAAD qu’il est utile et pertinent d’envoyer le projet personnalisé au médecin traitant, à l’ensemble du cercle de soins ? Comment devenir acteur du parcours de l’usager en tant que professionnel ? Qu’est-ce que je transmets, qu’est-ce que je ne transmets pas ? Que vont faire les Responsables de Secteur ? Que vont faire les aides à domicile ?
Le métier se transforme en un vrai métier de la coordination entre tous les acteurs : il s’agira de faciliter les usages pour que les envois de mails, via une messagerie sécurisée pour le remplissage des Dossiers médicaux partagés (DMP) entrent dans les pratiques et deviennent à terme un réflexe. Le partage d’information est un plus pour toute la chaine, par exemple pour une sortie d’hôpital le SAAD aura toutes les informations, en temps réel dans le DUI rempli par l’hôpital et adressé au service.
Des usagers qui transforment aussi leurs comportement en accédant au numérique et par conséquent leur relation avec les aides à domicile et l’image qu’ils en ont.
Un autre aspect, moins direct, des nouvelles technologies dans le travail, est celui des innovations technologiques liées à l’accompagnement au domicile des usagers : notamment la domotique, la téléassistance, l’accès aux services publics via les plateforme numériques, l’accès à internet : par exemple pour le e.commerce, ou la communication avec l’entourage proche à l’aide de tablettes mais aussi la télémédecine. Tous ces nouveaux usages contribuent à façonner autrement la vie quotidienne des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, ils transforment également le logement par tous les équipements destinés à améliorer l’autonomie et la sécurité des personnes.
Plusieurs études récentes2 auprès des usagers à leur domicile, pendant et après le confinement permettent de donner un éclairage sur ces transformations en émergence. Leurs récits nous renseignent sur la place, distincte, que chaque aide à domicile joue dans l’accompagnement de leur vie quotidienne.
« Mon aide à domicile, qui vient pour m’aider pour les courses et le ménage, jamais, je ne lui aurais demandé de m’accompagner chez le médecin, s’il n’y avait pas eu le confinement ».
« Ça ne m’intéressait pas d’apprendre à utiliser l’ordinateur. Maintenant c’est autre chose, c’est Noémie, qui vient quand même à la maison pour les repas, qui m’a aidée à ouvrir la messagerie. C’est devenu utile ! ».
Les savoirs-être professionnels des aides à domicile en rapport avec l’accompagnement à la téléconsultation ont été reconnus par les bénéficiaires eux-mêmes et notamment le sens de l’adaptation. Cette compétence mise en œuvre dans toutes les tâches depuis fort longtemps, est reconnue à l’occasion de la mise en place de la téléconsultation où les usagers témoignent d’un changement de regard sur leur aide à domicile.
« Elle a su bien me rassurer, elle est restée attentive pendant la téléconsultation, c’est-à dire que j’avais peur que le médecin me donne une mauvaise nouvelle et ne pas savoir quoi faire si j’étais seule »
« Pour mieux positionner l’écran de l’ordinateur en vue de la téléconsultation) il a fallu déplacer le canapé… tant pis pour le ménage cette semaine, on va voir si on peut ajouter une heure la semaine prochaine ».
L’utilisation du numérique et des nouvelles technologies va agir sur la transformation de la relation aidant-aidé par un nouveau langage producteur d’autonomie et de valorisation pour les deux parties. L’attention accordée aux bénéficiaires est un des enjeux majeurs de ces métiers pour l’autonomie des personnes, et réciproquement, cette reconnaissance de la valeur du travail par l’usager est un point crucial pour la valorisation de l’aide à domicile et un changement d’image et une nouvelle perception du métier. Les groupes d’analyse de pratiques professionnelles (GAPP) organisés par le GIPSAP montrent à quel point la non-reconnaissance de ce qui est fait par les aides à domicile, et leur relégation aux tâches dites serviles, en premier lieu par les bénéficiaires eux-mêmes est une source de souffrance au travail, et de ressentiment. A l’inverse
L’accompagnement des aides à domicile et des services va être significatif pour la transformation du métier et de son image et pour rendre le secteur attractif aux nouvelles générations.
Il faut sortir des aprioris quant au niveau des intervenants de bas niveau de qualification pour réussir cette mutation, d’autant plus qu’on peut compter sur le renouvellement des générations qui sont beaucoup plus à l’aise avec le digital, que les générations actuelles, qui sur ces métiers ont souvent 60 ans et plus. De la même façon on peut « affirmer que l’âge n’est pas un frein à l’usage des nouvelles technologies et que sous certaines conditions elles peuvent même servir de catalyseur pour promouvoir les capacités des personnes ».3
Pour décliner cette vision prospective, au niveau local, voilà deux ans que le GIPSAP et le département se sont engagés dans la structuration de la filière, à la fois en accompagnant les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) autorisés par le département dans leur organisation interne vers la transformation numérique, mais aussi en proposant des GAPP animés par des psychologues , pour les aides à domicile; et en ouvrant un numéro vert accessible gratuitement pour que ces dernières puissent prendre la parole, de façon spontanée et en toute confidentialité.
Toutes ces actions produisent des résultats positifs et nous confirment que c’est d’abord la reconnaissance par l’usager qui produira le plus d’effet sur une autre vision du métier, puisque c’est à son domicile que se fait la production du service et selon sa propre vision. En même temps, c’est par leur présence et la relation de confiance qu’elles instaurent au domicile, que les aides à domicile auront un rôle majeur à jouer dans une nouvelle communication avec les usagers. Les équiper pour avoir une parole sur leur travail et un lieu permanent pour pouvoir le faire, est un élément essentiel dans ce processus de transformation.
1 Déclaration de la Sénatrice Cathy Apourceau-Poly lors de la séance du 9 novembre 2021
2 Evolution du métier d’aide à domicile vers le numérique en santé. Une étude exploratoire à travers l’expérience des bénéficiaires. Elisa Chanial. Management et Avenir Santé 2021/1-Management Prospective Editions.
3 Rapport Aquino-Bourquin juin 2019- Les innovations numériques et technologiques dans les établissements et services pour personnes âgées.